Extraits de l’ouvrage :

Qu’est-ce que signifie vivre dans son corps ? Comment trouvons-nous le langage adéquat pour exprimer l’expérience que nous avons de notre corps ? Alors qu’est souvent citée la phrase de Freud selon laquelle l’ego est avant tout et essentiellement un ego corporel, la place et la signification des expériences corporelles en psychanalyse et en psychothérapie demeurent fragiles. Les références psychanalytiques aux modes d’expérience corporels lors du processus thérapeutique lient souvent le corps à des notions de régression, au primitif, au concret, au non-symbolisé, au non-mentalisé – c’est-à-dire à des niveaux d’expérience qui nécessitent d’être métabolisés en des espaces plus matures de l’organisation psychique.
Ce livre est basé sur un principe différent. Celui selon lequel les êtres humains peuvent posséder une conscience profonde et durable d’eux-mêmes grâce à une expérience de leur corps qui le serait également ; celui selon lequel nos corps sont des ressources puissantes en matière de croissance psychique grâce aux capacités de leurs sens et de leur sexualité. Ils ne sont pas seulement des prisons pleines de débris primitifs ou des machines neuromusculaires fonctionnant mécaniquement. Ils nous fournissent des moyens essentiels à notre propre développement et pour le contact avec les autres. C’est une prémisse de ce livre qu’une attention informée et soutenue vis-à-vis des expériences corporelles puisse assurer une passerelle indispensable entre le domaine de l’inconscient et celui de nos capacités conscientes en matière de compréhension, de choix, d’action et de vitalité.(…)
Quand j’ai découvert ce terme de chair chez Merleau-Ponty, je l’ai trouvé profondément évocateur de la manière dont je comprenais mon travail de psychothérapeute corporel. Il évoque à la fois la vitalité et la fragilité du corps, le sens d’un corps vécu et vivant (…) La chair est un moyen de contact. Elle est la peau avec la profondeur, le mouvement et la vitalité. La peau et les muscles deviennent chair lorsqu’ils se mêlent à la chair de l’autre, s’y confondent. Il y a également l’excitation dynamique et exacerbée de la chair : la capacité d’exciter et de perturber, le désir de s’introduire dans et sous la peau d’un autre, d’entrer dans l’autre d’une manière qui ne pourra être oubliée, d’être pris et rempli par un autre, de pénétrer et d’être pénétré lors de relations intimes (…)
La chair est vivante. La chair se rappelle. La chair porte le désir. Et la terreur (…)

William Cornell – Expériences somatiques en psychanalyse et en psychothérapie